Animés par Elise Vandel, les ateliers d'écriture sont à chaque exposition l'occasion d'une redécouverte réjouissante des œuvres et des scénographies.
Voici une des contributions des participants :
Lorsque le directeur du magazine «Clichés d'Ailleurs » pour lequel je travaillais depuis bientôt cinq ans m'avait appelée au téléphone, je me trouvais en Asie en train de saisir à coups de clics de Leica l'âme de ce continent que je ressentais à la fois comme délicat et fêbrile.
A bord de touk-touks cahotants, je me rendais de temples célestes aux long bouddhas dorés au fleuve Mékong à bord de jonques propulsées par des moteurs toussotants.
Dans les bordels de Bangkok ouverts aux quatre vents, j'ai été surprise et éblouie par le courage de ses femmes offertes au corps doré et nu paré pour tout habit de leur longue chevelure lisse pareille à des plumes de jais tombant sur leurs cuisses.
Les clients éméchés – touristes pour la plupart – se pressaient sous les néons blanchâtres pour choisir celle qui leur donnera un plaisir éphémère. Ils étaient si fébriles qu'ils ne pensaient plus à négocier le montant de l'amour, les femmes le savaient et prenaient leur maigre revanche en multipliant le prix.
Sur une affiche d'une autre époque collée sur un mur du bordel, comme une erreur de casting : un couple de marins russes enlacés, jumeaux énamourés dans leurs costumes blancs immaculés, un béret à pompon rouge dressé sur la tête.
Le directeur du magazine me sermonna pendant plusieurs jours. Peu lui importait les décalages horaires entre Bruxelles et moi, je finis par me sentir harcelée par ses appels à toute heure du jour et de la nuit.
- Ecoute-moi finit-il par lâcher, tu es restée suffisamment en Asie, ça suffit maintenant, j'ai besoin de toi pour partir en Afrique. Gilles qui travaillait là-bas est malade et a dû être rapatrié, je pense qu'il est tant pour toi de quitter ton petit confort pour aller te frictionner à l'Afrique.
- Mais enfin, je n'ai envie de me frictionner comme tu dis à rien du tout !
- C'est à prendre ou à laisser finit-il par lâcher menaçant.
- Laisser voulait dire démissionner du journal et ça je ne le voulais pas, c'était pour moi comme tirer un trait sur ce métier que j'aimais tant et auquel j'avais sacrifié ma vie personnelle.
Je m'envolai quelques semaines plus tard vers ce continent immense l'Afrique. A moi, les momies emmaillotées d'Egypte, les statuettes percées de clous rouillés du Mali, les hommes touaregs au regard brûlant souligné de khôl et à la peau teintée de l'indigo de leurs voiles. Je les rencontrais sur les rives du fleuve Niger à Segou vendant leurs plaques de sel, scintillants sous le soleil brûlant comme des dizaines de miroirs. Dans les rues de Bamako, des coiffeurs tressant des nattes colorées sur la tête des femmes à l'ombre d'un fromager. Les imitant, des enfants aux crânes tondus coiffaient des poupées roses et blondes made in China.
Le désert blanc, immense du Sahara - jonché de météorites noires et luisantes - dont la ligne d'horizon vibre sous l'incandescence du soleil de l'après-midi.
A moi ce continent mystérieux et tellement vivant.
A moi, l'Afrique immense, solaire et poussiéreuse qui me fera un temps oublier l'Asie.
Catherine Lafite